Grands formats et triptyques

Les trois Bleus mesurent chacun 270 sur 355 cm, ce qui en ferait les premiers grands formats de l’artiste s’il n’avait déjà peint de larges compositions destinées à s’inscrire dans des projets architecturaux. Bénéficiant sans doute de son expérience dans le domaine du décor de théâtre dès 1926, Miró conçoit sa première peinture monumentale pour le pavillon de l’Espagne républicaine à l’Exposition internationale des arts et techniques de 1937 (Le Faucheur, non conservé) En 1947, il reçoit la commande d’une peinture toute en longueur pour le restaurant d’un hôtel de Cincinnati (actuellement au Cincinnati Art Museum, Ohio). En 1950, il obtient celle d’une autre composition pour une salle à manger de l’université d’Harvard (aujourd’hui au Museum of Modern Art de New York).

Peinture Murale, Terrace Plaza Hotel, Cincinnati

Les séjours de Miró aux États-Unis pour mettre en place ces décors, et plus encore son voyage de 1959, lui ont fait prendre connaissance de « la nouvelle peinture américaine ». Eux-mêmes influencés au début de leur carrière par Miró, Jackson Pollock, Arshile Gorky et Mark Rothko, habitués des grands formats, incitent ainsi leur aîné à changer d’échelle. Dépasser la peinture de chevalet correspondait en effet pour Miró à une prise de conscience à visée sociale depuis la fin des années 1930 : peindre pour le plus grand nombre.

Par ailleurs, avec les trois Bleus, Miró adopte pour la première fois la formule du triptyque, qui conforte son goût pour la narration. Miró y reviendra à deux reprises avec Peinture sur fond blanc pour la cellule d’un solitaire (1968) et avec L’Espoir d’un condamné à mort (1974). Aujourd’hui conservés par la Fundació Joan Miró de Barcelone, ces triptyques sont de formats comparables aux trois Bleus. Pour chacun d’entre eux, peints désormais à l’acrylique sur fond blanc, Miró revient à une ligne unique et, pour le dernier triptyque, ne recourt qu’à de simples ponctuations de couleur, alternativement bleu, rouge et jaune.

L’Espoir d’un condamné à mort I, II, III. Rétrospective Miró, Grand Palais, Galeries Nationales, Paris 2018-2019

Miró parle de ses Bleus

« J’ai mis beaucoup de temps à les faire. Pas à les peindre, mais à les méditer. Il m’a fallu un énorme effort, une très grande tension intérieure, pour arriver à un dépouillement voulu. L’étape préliminaire était d’ordre intellectuel… C’était comme avant la célébration d’un rite religieux, oui, comme une entrée dans les ordres. Vous savez comment les archers japonais se préparent aux compétitions ?

Ils commencent par se mettre en état, expiration, aspiration, expiration – c’était la même chose pour moi. […] Je commençais par dessiner au fusain, avec beaucoup de précision (Je me mets toujours au travail très tôt le matin). L’après-midi, je regardais seulement ce que j’avais dessiné. Tout le reste de la journée, je me préparais intérieurement. Et finalement, je me suis mis à peindre : d’abord le fond, tout bleu ; mais il ne s’agissait pas simplement de poser de la couleur, comme un peintre en bâtiment : tous les mouvements de la brosse, ceux du poignet, la respiration d’une main intervenaient aussi. “Parfaire” le fond me mettait en état pour continuer le reste. Ce combat m’a épuisé. Je n’ai rien peint depuis. Ces toiles sont l’aboutissement de tout ce que j’avais essayé de faire. » (dans Rosamond Bernier, « Propos de Joan Miró », L’Œil, n° 79-80, juillet-août 1961, p. 18)

Les premières expositions

Comme souvent pour ses œuvres récentes, Miró souhaite donner à Paris la primeur de ses trois Bleus. Sans attendre, c’est à la galerie Maeght, 13, rue de Téhéran, qu’il confie le soin de les présenter au public. Intitulée « Miró. Peintures murales » cette exposition a lieu du 23 juin au 31 juillet 1961

Joan Miró et André Breton, vernissage de l’exposition « Miró-Peintures murales », Galerie Maeght, juin 1961

C’est alors l’une des plus importantes galeries d’art parisiennes. Elle a été créée en 1945 par Aimé Maeght qui a pris sous contrat Miró en 1948, succédant ainsi à Paris à son marchand historique, Pierre Loeb.

À l’automne, les trois Bleus traversent l’Atlantique pour être présentés du 31 octobre au 25 novembre 1961 à la Pierre Matisse Gallery au coin de Madison avenue et de la 57e rue. Sous le simple titre « Miró. 1959-1961 », l’exposition est accompagnée d’un album comportant de superbes lithographies.

Carton d'invitation pour une exposition de Joan Miró à la Pierre Matisse Gallery, NYC, janv-fév 1945
Carton d'invitation pour une exposition de Joan Miró à la Pierre Matisse Gallery, NYC, janv-fév 1945

Fils cadet d’Henri Matisse, Pierre Matisse a inauguré sa galerie en 1931. Exposant Miró dès 1932, il a signé avec lui deux ans plus tard un contrat qui aura été décisif pour assurer la diffusion de son œuvre aux États-Unis.

Il faudra attendre 1968 pour revoir ensemble les trois peintures, d’abord à la Fondation Maeght à Saint-Paul, puis à Barcelone la même année et à Munich en 1969, avant d’autres expositions.

Cependant, les trois peintures connaissent des sorts différents et sont bientôt séparées. Si Bleu I et Bleu II auront respectivement pour avant-derniers propriétaires le couturier français Hubert de Givenchy et le couple franco-américain Dominique (née Schlumberger) et Jean de Menil, Bleu III restera la propriété de la Pierre Matisse Gallery.

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Œuvres reproduites et ressources

  • Joan Miró , Peinture Murale  pour le Terrace Plaza Hotel , Cincinnati, 1947.Huile sur toile. Commandée pour le restaurant le Gourmet au Terrace Plaza Hotel à Cincinnati. Cincinnati Art Museum, inv: 1965.514. © Successió Miró / Adagp, Paris 2020 © photo Cincinnati Art Museum
  • Vue d’exposition avec L’Espoir d’un condamné à mort I, II, III dans la Rétrospective « Miró », Grand Palais, Galeries Nationales, Paris . 3 octobre 2018 – 4 février 2019. © Successió Miró / Adagp, Paris 2020 © photo Didier Plowy
  • Miró retouchant Bleu II dans la galerie Maeght, juin 191. Tirage. Collection Bibliotheque Kandinsky, fonds général Joan Miró © Droits réservés © photo Bibliothèque Kandinsky, MNAM/CCI, Centre Pompidou – Dist. RMN-Grand Palais
  • Joan Miró et André Breton devant Bleu III lors du vernissage de l’exposition « Miró. Peintures murales » à la galerie Maeght, juin 1961. Tirage. Collection Bibliotheque Kandinsky, fonds général Joan Miró. © Droits réservés © photo Bibliothèque Kandinsky, MNAM/CCI, Centre Pompidou – Dist. RMN-Grand Palais
  • Carton d’invitation pour une exposition de Joan Miró à la Pierre Matisse Gallery, NYC, janv-fév 1945. Carton issu du Scrap Book d’André Breton [1944-1945]. Album. Achat, 2003. Collection Bibliotheque Kandinsky, fonds André Breton. © Adagp, Paris 2020 © Photo © Bibliothèque Kandinsky, MNAM/CCI, Centre Pompidou – Dist. RMN-Grand Palais / BRET 2.26

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JOAN MIRÓ – BLEU III
Joan Miró - Bleu I